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DANS LA SOLITUDE DES CHAMPS DE COTON

Bernard-Marie Koltès / Guillaume Carron / Cie Commun Monde

TEXTE Bernard-Marie Koltès
MISE EN SCÈNE Guillaume Carron
JEU Julie Cecchini & Mickael Pinelli
SCÉNOGRAPHIE Mai Atrache
LUMIÈRES Frédéric Dugied
CONSEIL ARTISTIQUE Sandra Enz
ADMINISTRATION Mathilde Grenier-Pognant

Quand l’origine du théâtre est un deal : parole contre regard.

Deux personnes se rencontrent. Il semble que ce soit la nuit. Elles ne se connaissent pas et nous ne savons rien d’elles, pas même leur nom. Seulement deux fonctions leur sont assignées : dealer, client.
Les deux personnages engagent de grandes tirades sur la nature du désir et le fonctionnement de la société. Alors que les mots sont violents et que la peur s’installe, aucun des deux ne fuit. Ils s’écoutent au contraire avec la plus grande attention et une précision peu commune, pour ne pas dire impossible.
Dans la solitude des champs de coton est un dialogue improbable. Tout repose sur un deal : je parle si tu me regardes, et vice-versa. Grâce à la rencontre du dealer et du client, Koltès nous renvoie à l’origine de l’art dramatique, quand public et acteur·rices acceptent (ou non) la convention théâtrale de la parole et du regard.

NOTE D’INTENTION

Ce qui m’a d’abord touché dans la pièce est la difficulté d’expression du désir, la difficulté de trouver les mots désignant ce que l’on veut vraiment. Il y a dans cette impasse du « dire » une expérience tragique que je trouve très actuelle et que j’ai envie de montrer.

La pièce se présente au premier abord comme un dialogue argumentatif, teinté de manipulation et de sexualité, où les deux personnages tentent d’obtenir ce qu’ils veulent de l’autre sans risquer quelque chose d’eux-mêmes. Le plus souvent, les mises en scènes se sont concentrées sur ce combat et ont illustré les négociations et la lutte entre les deux personnages. Se dévoilent ainsi la violence et la perversion des rapports humains. Mais on risque alors de manquer la difficulté principale du désir, à savoir celle de sa formulation.

Montrer le tragique de la pièce suppose aussi de dévoiler la fragilité des personnages et leur envie contrariée de vivre. Lorsqu’une rencontre nous trouble, les mots se dérobent à nos lèvres et la parole, aussi assurée soit-elle, recouvre tout un champ imaginaire de craintes, de fantasmes et de préjugés où le désir circule pourtant. Je voudrais montrer ce champ d’illusions en plaçant le dialogue dans un lieu à la fois urbain et surréaliste.

L’enjeu de la mise en scène sera de plonger le spectateur dans la rencontre des personnages afin d’éprouver les différents moments du désir et de son expression. Pas de scène, donc, mais des spectateurs immergés dans l’espace où la rencontre se déroule, parmi les comédiens, proches de leurs déplacements, éprouvant avec eux les différentes voies empruntées par le corps et la parole dans la recherche de l’autre. Le plateau évoquera un univers citadin surréel, permettant d’illustrer le mélange du concret et de l’illusion qui compose le désir.

Guillaume Carron

À propos de l’œuvre

Dans la solitude des champs de coton interroge le désir dans sa relation avec une société de marché. Koltès écrit cette pièce dans les années 1980, à un moment charnière. Depuis le XVIIIe siècle et la naissance du libéralisme, l’Histoire est marquée par une confiance et un espoir en la notion d’échange. Le marché semble avoir instauré une fluidité des relations sociales et ouvert la créativité dans le monde du travail. Il a aussi créé, dès le début, des inégalités, mais les dénonciations marxistes des injustices consécutives au marché n’ont pas été suffisantes pour empêcher le développement des sociétés capitalistes. Le commerce ne renvoyait plus seulement à un ensemble de métiers, mais à un modèle relationnel plus général : Montesquieu louait la capacité du commerce à instituer la justice dans les relations internationales, Tocqueville montrait les vertus de cette économie nouvelle dans la mobilité sociale, Claudel faisait de l’ « échange » une force du désir humain. La société de marché s’est construite sur la conviction que le mouvement de la monnaie pouvait aussi être celui d’une société vivante, dynamique et heureuse.

Lorsque Koltès écrit la Solitude en 1986, le rapport entre le désir et le marché se trouve encore au coeur des préoccupations humaines. Mais ce rapport se traduit en lui d’une manière singulière et peut-être même paradoxale. Car le deal n’est pas seulement le marché, mais une transaction réputée interdite, souvent cachée, hors lois, où tout semble possible sans que l’objet du désir ne soit même prononcé. Koltès voit dans le deal une sorte d’idéal des interactions humaines : on évite ainsi les affects banals, les complaintes lassantes de l’insatisfaction et de la culpabilité. Le désir ou l’amour sont pour lui des non-sujets, des sujets guimauves, ennuyeux et peu dramatiques. Et pourtant, il avoue aussi que la question du désir, et plus spécifiquement d’un désir opprimé qui se cherche, est au coeur de son écriture. Dans la solitude des champs de coton incarne ce paradoxe du désir : on parle sans cesse du désir pour dire qu’il n’existe plus. On a souvent cru que ce « complexe du désir » était lié à l’homosexualité de l’auteur et à l’oppression dont était victime la communauté gay à cette période. Mais Koltès a souvent été déçu que l’on réduise le problème de la pièce à sa biographie. La Solitude témoigne d’une difficulté plus générale de l’expérience du désir dans nos sociétés contemporaines.

15 > 18 janv • 19h30
Durée : 1h15